L'industrie du livre : la résilience du papier face à la révolution digitale

Dans ce troisième volet, examinons la mutation du secteur de l'édition papier, qui était autrefois le pilier de la diffusion du savoir. Après des siècles de développement qui ont marqué cette industrie, depuis l'invention de l'imprimerie par Gutenberg jusqu'à l'avènement du livre numérique, quelle place tient aujourd'hui le livre papier ?

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En 1453, Gutenberg imprime avec des caractères mobiles dont il est inventeur, sur un papier issu des moulins à papier des frères Galliziani, la première Bible à 42 lignes (issue de la Vulgate). Il met trois ans à sortir 180 exemplaires, alors qu'un moine copiste de l'époque en produisait un. 
D'une production confidentielle de 30 000 manuscrits par an en Europe, le livre connait une expansion vertigineuse dans les siècles qui suivent le XVe siècle, 200 millions au XVIe siècle, 550 au XVIIe, 1 milliard au XVIIIe siècle ! Réservé à une élite aristocratique, aux institutions religieuses et universités, le livre jouait un rôle très orienté dans la formation et l'édification de la morale religieuse, nécessaire pour l'éducation des générations. Et l'acquisition d'un livre était couteuse. L'acquisition d'une bibliothèque (celle de Mazarin à l'Hôtel du Luxembourg est la plus célèbre) était l'apanage des hommes puissants et reconnus.

Le livre-roman, la démocratisation de la lecture

Début du XIXe siècle, un nouveau genre littéraire, le roman, popularise le livre, support d'une littérature accessible à la nouvelle classe possédante, la bourgeoisie. L'éditeur Charpentier invente le format poche, un in-18, qui permet de produire le roman en un seul volume au lieu de trois, à l'époque, son prix passant de 7,5 francs à 3,5 francs. Désormais, le livre devient populaire et prend une fonction sociale dans la société européenne.
Les romanciers, Balzac, Eugène Sue, Zola, sont autant des observateurs de leur époque que des acteurs de la vie politique en révélant la réalité sociale de leurs contemporains.
La généralisation de l'école primaire et l'alphabétisation de la population fait du livre un objet quotidien. Les grandes maisons d'éditions françaises, Hachette, Goncourt, Flammarion, Grasset etc. se constituent dans un univers d'une grande concurrence, et recherchent en permanence l'optimisation des couts de fabrication ; le papier est jusqu'à la fin du XXe siècle le support du texte et le principal cout de la fabrication du livre.

L'avènement du livre numérique, une révolution éditoriale

La digitalisation du texte et la diffusion du livre par Internet, révolutionne le cycle inauguré par Gutenberg.
L'intérêt des éditeurs dans la digitalisation est en effet la recherche de la réduction des coûts d'édition. Aussi, ont-ils vu dans cette technologie l'espoir de voir le support papier disparaitre au profit des tablettes ou liseuses. Et de ne plus avoir à supporter les couteux stocks de réassort des livres.

Le papier, un substrat indémodable

Et bien en fait, non. Le livre papier a résisté puisque 90% des revenus des éditeurs aujourd'hui est constitué de l'édition papier, soit un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros en France (source SNE), une production de 110 000 titres, dont 40 000 nouveautés, 554 millions de livres produits dont 273 en réimpression.
C'est sur ces 273 millions de livres réimprimés que la digitalisation des livres a permis des réductions de cout significatifs avec l'introduction de presses numériques depuis l'an 2000.
Des nouveaux acteurs imprimeurs, comme CPI en France, ont pu prendre une place significative sur le marché du livre. Et le concept de print on demand permet à certains auteurs d'éditer à faible cout leur production littéraire.

Cette résistance est liée certes au confort de lecture que confère le papier, mais aussi à la symbolique même que représentent l'achat d'un livre et sa conservation dans la bibliothèque de la maison. Ne juge-t'on pas la qualité de son hôte qui vous reçoit à la vue de sa bibliothèque ?

L'activité numérique représente donc un nouveau chiffre d'affaires pour les éditeurs, elle se concentre essentiellement sur les œuvres littéraires libre de droit d'auteur, mais surtout sur la production universitaire qui représente 68% des revenus de l'édition numérique. Car Internet a pour origine le réseau universitaire qui souhaitait mettre leurs ordinateurs en réseau pour partager leurs recherches à travers les équipes mondiales de chercheurs. Et le premier objectif du réseau était de partager son travail et non de capter l'information sur le correspondant pour en faire une donnée monnayable. Instinctivement, on sent bien toute la grandeur et les dangers que représentent les réseaux sociaux et la nécessité de préserver le papier comme garde-fou de la production informationnelle.

Un support à la remarquable résilience

Pour résumer, si la part papier à imprimer a été réduite significativement depuis vingt ans, en passant de 55% en 2005 à 35% en 2018, des 10 millions de tonnes de papier-carton fabriquées en France, ce support présente une remarquable résilience.
À une utilisation massive correspondante à la société de consommation du XXe siècle, succède celle d'une utilisation raisonnée et qualifiée tant pour l'accès à l'information vérifiée qu'à celui confortable, aux œuvres intellectuelles.

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