"Sommes-nous prêts à voir le prix Goncourt imprimé à l'étranger ?" Dans le courrier adressé à Marc Ferracci, ministre délégué à l'Industrie, Mayenne Communauté et ses élus ne mâchent pas leurs mots. Pour eux, la situation de l'imprimerie en Mayenne et plus largement en France ne peut plus être ignorée : elle appelle un engagement clair de l'État en faveur d'une filière aujourd'hui fragilisée.
Une filière prise en étau entre contraintes financières et blocage bancaire
Rédigée par les services de la collectivité et les députés du département, la lettre remise le 27 mai au ministre dresse un constat partagé depuis longtemps par les professionnels du secteur.
Le premier point concerne la dérogation à la loi LME, qui permet à certains donneurs d'ordre - notamment les maisons d'édition - d'imposer des délais de paiement allongés. Une pratique qui pèse lourdement sur la trésorerie des imprimeurs.
Ensuite, les coûts continuent de grimper, notamment ceux du papier, dont l'approvisionnement reste sous tension, dans un contexte géopolitique et environnemental instable.
À cela s'ajoute l'accélération technologique. Pour rester dans la course, les imprimeurs doivent investir lourdement, que ce soit dans le numérique, la personnalisation des tirages ou la réduction de leur empreinte carbone.
Mais l'accès au financement reste bloqué pour beaucoup, les banques considérant le secteur comme risqué. Faute de soutien, ces entreprises souvent sous-capitalisées peinent à engager leur transformation.
Et en toile de fond, la tendance à la délocalisation s'accentue... "Plusieurs maisons d'édition commencent déjà à externaliser une part croissante de leurs impressions, faute d'un écosystème français suffisamment soutenu" faisant appel à "d'autres pays européens qui présentent des coûts de main d'œuvre très bas".
Hubert Pédurand : il faut agir "pas pour la nostalgie du papier, mais pour ce qu'elle incarne"
"Ces éléments fragilisent l'ensemble de la chaîne de valeur, menaçant des emplois qualifiés, un savoir-faire et des entreprises ancrées localement." Et les signataires rappellent qu'en Mayenne Communauté, plusieurs sites industriels sont aujourd'hui en difficulté. Corlet Roto à Ambrières-les-Vallées, filiale du groupe normand Corlet, en est le parfait exemple malheureusement. L'arrêt de cette unité spécialisée dans l'offset rotatif, prévu fin juin, marque la fin d'un site historiquement implanté en Mayenne.
Pour Hubert Pédurand, dirigeant de l'imprimerie mayennaise Floch qui produit régulièrement des grands prix littéraires, ces signaux doivent être pris au sérieux. Dans un post sur LinkedIn, le chef d'entreprise appelle, lui aussi, à une reconnaissance pleine et entière de la filière dans les politiques industrielles française : "Pas pour la nostalgie du papier, mais pour ce qu'elle incarne : la souveraineté culturelle, la transmission du savoir, l'ancrage territorial, l'innovation industrielle."
Les élus veulent une reconnaissance stratégique au niveau national
Les élus de Mayenne Communauté demandent l'ouverture d'un dialogue structuré entre éditeurs et imprimeurs, sous l'égide du médiateur des entreprises, ainsi que la mise en place de dispositifs de soutien ciblés à l'investissement. Surtout, ils plaident pour une reconnaissance politique de la filière graphique, à la hauteur de son rôle dans la culture, la souveraineté industrielle et la structuration des territoires.
À l'échelle nationale, la situation mayennaise n'a rien d'un cas isolé. Mais pour ses élus, c'est précisément parce que le phénomène est généralisé qu'il mérite une réponse stratégique, portée au plus haut niveau de l'État. Car "sommes-nous prêts à voir, demain, le prix Goncourt imprimé en Pologne ou ailleurs, simplement parce que nous n'avons pas su protéger, moderniser et rendre compétitive notre industrie graphique ?"