Entourloupes au sommet sur le marché du papier ?

Une enquête journalistique à l'échelle internationale accuse Asia Pulp & Paper et Paper Excellence de se jouer du label FSC et du droit de la concurrence.

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Révélation choc le 1er mars dans un article du Monde : une enquête menée dans le cadre du projet Déforestation Inc. mettrait au jour des liens illégaux entre deux groupes papetiers, l'Indonésien Asia Pulp & Paper et le Canadien Paper Excellence.

Le projet Déforestation Inc. est un engagement pris par plus de 100 pays lors de la COP26 fin 2021, pour mettre fin à la déforestation d'ici 2030. Cent quarante journalistes - dont deux du Monde - au sein du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) ont mené une enquête internationale ayant pour but de "dévoiler les mécanismes qui rendent la prédation environnementale possible".

Selon Le Monde, Asia Pulp & Paper et Paper Excellence seraient de mèche pour prendre la main sur le marché mondial du papier au su et au vu des différentes organisations censées empêcher ce genre d'entente.

Deux groupes que rien ne semble relier...

Le groupe indonésien, mis en cause pour déforestation depuis plus de vingt ans, se voit retirer en 2007 le label de gestion durable du bois FSC pour pratique de destruction de forêt. Faute de cette certification, Asia Pulp & Paper perd plusieurs marchés comme l'approvisionnement des emballages pour Mattel, Lego ou encore Disney.

Quant à Paper Excellence, il voit le jour en 2006 et commence une série d'acquisitions en cascade, dont deux sites français, à Tarascon dans les Bouches-du-Rhône et à Saint-Gaudens en Haute-Garonne, réunis sous le nom de Fibre Excellence.

Deux groupes que rien ne relie visiblement… Les enquêteurs sembleraient avoir prouvé le contraire.

... mais qui tire les ficelles ?

À la tête d'Asia Pulp & Paper et ce jusqu'à fin 2022 se tient Teguh Widjaja. À celle de Paper Excellence on trouve Jackson… Widjaja, le fils. Une même famille indonésienne semble donc tenir les rênes de deux entreprises qui se déclarent pourtant "deux entités complètement étanches".

Le dossier monté par les enquêteurs rassemblerait moult preuves sous forme de documents et mails, provenant d'anciens dirigeants et d'un lanceur d'alerte, attestant des échanges commerciaux unissant les deux groupes, des connexions existantes du sommet à la base, des fonctions exercées simultanément dans les deux entités…

Ainsi la certification FSC de Paper Excellence profiterait à Asia Pulp & Paper et le droit à la concurrence serait sérieusement remis en question. En effet, deux entreprises dites indépendantes ont interdiction de s'échanger des informations confidentielles en particulier pour tout ce qui a trait à la fixation des prix, rappelle Le Monde.

Paper Excellence serait sur le point d'acheter deux autres papetiers, Eldorado situé au Brésil avec ses 350 000 hectares de forêts certifiées et le Canadien Resolute Forest Products. Ses revenus annuels atteindraient ainsi, selon Le Monde, les 10 milliards d'euros. Et avec les 14 milliards d'euros estimés de l'Indonésien, l'union des deux entreprises représenterait le plus grand groupe papetier mondial.

La réponse de Fibre Excellence est sans équivoque

Fibre Excellence, qui emploie 650 personnes sur ses deux sites, a publié un démenti le 2 mars.
La filiale française de Paper Excellence assure n'avoir aucun lien avec le groupe indonésien, et garantit respecter les standards FSC et PEFC et pratiquer les prix du marché.
Louée au printemps 2022 pour son rôle dans le sauvetage de l'usine de papier recyclé par Veolia de Chapelle-Darblay en Normandie, la filiale se pose en défenseur de l'industrie et des emplois sur l'Europe.

Elle annonce avoir effectué un investissement de plus de 120 millions d'euros dans la modernisation de ses deux sites français et étudier "des projets d'investissements en France à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros dans les cinq prochaines années".

Il est à noter cependant que la cellule d'investigation de Radio France, le 1er mars dernier, a indiqué que, selon le cabinet de Bruno Lemaire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, "Fibre Excellence avait bénéficié de plus de 70 millions d'euros d'aides publiques. Mais concernant ses liens avec APP, il estime ne pas pouvoir s'exprimer, l'entreprise étant susceptible de faire l'objet d'investigations de la part de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes)."

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