Interview / Fabrice Ducaruge de la Stipa tire sa révérence : "Ce ne sont plus des clients, mais des amis"

Élevé loin du monde de l'imprimerie et du luxe, Fabrice Ducaruge a réussi à se constituer un portefeuille client aux noms prestigieux. Alors qu'il s'apprête à quitter ses fonctions, cet autodidacte, passionné par son métier mais aussi par les rencontres, nous parle son parcours.

Depuis l'annonce de son départ, Fabrice Ducaruge est submergé par les messages de remerciements. Après 40 ans passés dans l'imprimerie, le responsable grands comptes de la Stipa, prend sa retraite. Il aura passé la moitié de sa carrière de commercial à la Stipa, spécialisée dans les imprimés culturels et de luxe, située à Montreuil en Seine-Saint-Denis. 20 années remplies de rencontres. Avant de passer définitivement le flambeau à Flora Gradenigo, fille de Pierre Gradenigo président de la Stipa, Fabrice Ducaruge a bien voulu partager son histoire.

GraphiLine : Comment avez-vous débuté votre carrière dans l'imprimerie ?

Fabrice Ducaruge : Par un pur hasard ! Je suis un enfant de la Dass, j'ai un CAP de restauration et j'étais maître d'hôtel au départ. En recherche d'emploi après une période difficile, à 22 ans en 1980, je suis tombé dans un journal sur une offre d'emploi de l'imprimerie Gaspard Monge. Je me suis présenté et ils m'ont embauché comme commercial.

L'imprimerie Gaspard Monge était un rotativiste sans sécheur situé à Gennevilliers qui réalisait les titres gratuits parisiens (Paris 93, Paris 78…). On produisait aussi le journal L'Idiot international de Jean-Edern Hallier. Il était imprimé avec toute l'équipe, Jean-Edern Hallier, le Professeur Choron… J'ai découvert le monde de l'impression dans ce milieu un peu particulier !

Après le dépôt de bilan de Monge, j'ai été embauché par Gilles Luno à l'imprimerie Laboureur où je suis resté 15 ans. Puis je suis entré à la Stipa.

Je me suis attaché à ce métier comme ça. Il m'a permis de m'enrichir, de rencontrer de gens que je n'aurais jamais pu rencontrer dans ma vie, si je n'ai pas passé par ce métier-là.

Comment décririez-vous votre carrière au sein de la Stipa ?

J'ai eu la chance de plutôt très bien fonctionner dans ce métier, je fais partie des très gros commerciaux feuilles en France. J'ai aussi la chance de travailler avec les clients finaux.

Et mes clients sont très fidèles, ils sont avec moi depuis 10, 15, 20 ans. En 40 ans de carrière, je n'ai perdu qu'un client, sur une engueulade ! (Un gros client dont je tairais le nom, car il existe encore !)

Nous avons une clientèle qui est extraordinaire. La Stipa imprime beaucoup de beaux livres : nous travaillons pour L'Opéra de Paris, Chanel, Beaubourg, le Centre national du cinéma, MHCS pour la partie champagne…

C'est un métier totalement passionnant. C'est aussi pour moi une passion pour le contact. J'aime parler aux gens, les voir, les rencontrer… Cette proximité est peut-être une démarche étonnante pour un commercial aujourd'hui. C'est une relation assez particulière entre nous et les artistes lorsque l'on imprime leur livre, qu'ils appellent souvent "mon bébé" d'ailleurs.

Je leur dis souvent que je n'imprime pas des livres ou des brochures, mais des objets. En fait, ce sont des rêves qu'on leur vend : ils ont l'idée de sortir un livre et il faut que l'on arrive à les orienter vers des formats, des papiers, une manière d'imprimer… J'ai une cliente qui m'a dit un très joli mot la semaine dernière : "On t'aime beaucoup, car tu as beaucoup d'empathie pour les clients." C'est juste : je suis heureux lorsqu'un client est content et je suis malheureux lorsqu'un client ne l'est pas (heureusement c'est très très rare !).

La Stipa m'a ouvert beaucoup de portes, en me permettant de rencontrer des gens extraordinaires, des rêveurs, peintres, écrivains, photographes…
C'est pour moi la plus belle imprimerie française feuille par son service et sa qualité.

Quelle est la rencontre la plus marquante ?

Il y en a tellement… Tony Soulié, qui est un peintre extraordinaire ou encore Marius Petipa, danseur étoile de l'Opéra de Paris… Ou encore la dernière rencontre, avec la photographe Eugénie Foucaud, qui est pour l'instant peu connue, mais que j'avais envie d'accompagner.

De quoi êtes-vous êtes le plus fier de ces années de travail ?

Ma réussite. Je sors d'un milieu très défavorisé, je suis un enfant de la Dass. J'étais très médiocre à l'école.

J'ai toujours le souvenir de mon directeur de maison d'enfants qui m'a dit un jour : "Fabrice, je ne sais pas ce que l'on peut faire de vous…" Finalement, j'ai grandi, j'ai appris et j'ai réussi. Je ne pensais pas en arriver là où j'en suis arrivé.

Vous rappelez-vous d'une anecdote amusante qui vous est arrivée ?

Un client menuisier est venu au calage avec une remorque remplie de portes de meubles pour comparer la colorimétrie de son bois avec l'impression ! C'était chez Laboureur.
Et le client a trouvé que ce n'était pas exactement la même couleur. Le chef d'atelier a alors sorti un billet de banque de sa poche et lui a demandé s'il en avait un aussi. Il a ensuite comparé les deux billets. Le client a aussi trouvé une différence de teinte. Le chef lui a rétorqué : "Si je vous donne mon billet, vous le prenez ? Oui ? Alors pour la brochure c'est pareil !" C'était une autre époque, c'est impensable de parler à un client comme ça aujourd'hui.

En 40 ans, le métier a beaucoup changé. Quelle est l'évolution la plus marquante pour vous ?

Les clients nous envoyaient des cromalins avec des films, aujourd'hui ils nous envoient un fichier par internet.

Au sein de la Stipa, nous avons été les premiers en France à s'équiper en H UV led. C'était un moment fort. Cela nous a permis de proposer des encrages plus élevés qu'avec l'offset et de réduire nos délais.

Et maintenant une autre bataille vient se greffer : la lutte pour l'environnement qui me touche particulièrement.
Nous sommes l'une des rares imprimeries à avoir la norme ISO 14001. Et depuis un an, nous avons un partenariat avec Reforest'Action qui finance la plantation d'arbres.
C'est une démarche que souhaitait Pierre et à laquelle j'adhère complètement. C'est notre cheval de bataille. Nous sommes quasiment une imprimerie zéro déchets.
Je dis souvent qu'il faut communiquer moins, mais mieux.

Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux arrivants dans le monde de l'imprimerie ?

Déjà on aimerait bien qu'il y en ait… Nous recherchons une personne pour conduire une machine offset 8 couleurs ainsi qu'un assistant commercial que nous ne trouvons pas.

C'est pourtant un métier passionnant, qui existera toujours, surtout sur le milieu de niche, l'édition de beaux livres, comme à la Stipa.
Sinon, pour être un bon commercial, il faut être passionné et d'être toujours à l'affût, être un "chasseur", mais un gentil chasseur !

Qu'allez-vous faire à la retraite ? Quels sont vos projets ?

Je vais relire et finir d'écrire mes deux romans que j'ai commencés il y a 10 ans. Et je vais reprendre aussi ma passion, qui est la peinture.

Mais avant, vous allez passer le flambeau à Flora Gradenigo.
Oui je vais accompagner Flora pendant six mois à un an. Elle est actuellement commerciale pour les éditions Gourcuff Gradenigo, la marque éditeur de la Stipa. Elle va s'occuper d'une clientèle un peu différente.

J'ai des clients du monde de l'édition, mais aussi d'autres clients. Des clients que j'adore. Je suis par exemple fournisseur de la fondation Apprentis d'Auteuil qui me tient particulièrement à cœur, car elle s'occupe des enfants défavorisés, et depuis 15 ans, de la fédération Handisport qui me touche aussi beaucoup. D'ailleurs, ce ne sont plus des clients, mais des amis.

Mais allez-vous vraiment arriver à partir à la retraite ?

Oui oui ! Je m'y prépare de plus un an. Et puis, j'ai commencé à 16 ans à travailler, j'ai aujourd'hui 62 ans. J'ai cotisé 177 trimestres, c'est énorme !
J'ai assisté à presque tous les calages de mes clients, de jour comme de nuit. Et lorsque l'on est commercial, on reste commercial 24 h sur 24. Toujours une carte de visite dans la poche, toujours à l'affût d'un nouveau client, toujours prêt à donner un renseignement… Il faut que je pense à ma famille, ma femme et mes petits enfants, et à moi.

Un dernier mot ?

Je veux dire merci à mes clients. Merci de m'avoir choisi, de m'avoir fait découvrir vos livres. Et merci pour les dizaines et dizaines de mails que j'ai reçus.

Plus d'articles sur le thème

Actualités de l'entreprise