Interview / Rencontres économiques d'Aix : trois questions à Natalie Rastoin

© Stéphan Gladieu

Natalie Rastoin, présidente de la société de conseil en stratégie de communication des marques et dirigeants Polytane, partage ses éclairages sur les thèmes abordés lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence : la taxe carbone, l'efficacité des dépenses publiques et l'évolution de la consommation en France.

Écoutez cet article

Lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence du 7 au 9 juillet 2023, qui se sont déroulées en même temps que le Festival international d'Art lyrique d'Aix, raison de ma présence à Aix-en-Provence, j'ai rencontré Natalie Rastoin qui a assisté à ces journées.

Descendante d'une longue lignée d'entrepreneurs marseillais, fille de Gilbert Rastoin maire de Cassis entre 1971 et 1995, Natalie Rastoin est membre du comité directeur de l'organisme d'études et de débats sur les politiques publiques l'Institut Montaigne, senior advisor de la multinationale britannique d'agences de publicité et de communication WPP, présidente de la société de conseil en stratégie de communication des marques d'entreprise et de dirigeants Polytane après avoir dirigé l'agence de publicité Ogilvy jusqu'en 2020. Elle a introduit en France la fonction en communication "le planning stratégique", a conseillé François Hollande lors de sa campagne présidentielle et est la "sherpa" de nombreux chefs d'entreprises en France.

Une occasion sous le soleil de Provence de lui poser quelques questions sur la teneur des débats de ces journées de plus en plus prisées par les acteurs économiques de la planète…

Léonce-Michel Deprez : La taxe carbone est basée sur la consommation d'énergie en France. Que doit-on faire à l'égard de l'importation des produits fortement carbonés en provenance des pays à bas coût ? Que penses-tu d'une banque européenne du carbone préconisée par Christian Grollier (1) ?
Natalie Rastoin : Il a été beaucoup question d'énergie à Aix… mais pas de cette façon-là.
Trois thèmes récurrents ont été évoqués.


Le coût de la transformation énergétique, presque toujours sous-évalué – et en particulier le rapport récent de l'économiste Pisani-Ferry, rapport rendu le 22 mai à la Première ministre, et qui évalue ce coût à 66 milliards par an, dont la moitié pour les finances publiques.

Le besoin de faire de la transformation énergétique un tournant qui ne creuse pas les inégalités, ce que de nombreux intervenants ont appelé "la soutenabilité sociale", alors qu'on voit dès maintenant l'impact très différent de l'augmentation de l'énergie sur les Français.

Et enfin, la volonté du "Sud global", bien identifié grâce à la guerre en Ukraine, de se développer – y compris en exploitant les énergies fossiles de leur sous-sol. L'argument consistant à nous dire "vous en avez bien profité, comment pouvez-vous nous en empêcher" est puissant… Tous ceux qui ont parlé pour un pays africain à Aix ont été particulièrement offensifs sur le sujet, y compris un une personnalité modérée comme Lionel Zinsou.
C'est ce troisième argument qui peut être mis en avant quand des produits carbonés sont importés…

Vis-à-vis des fractures françaises analysées par Samuel Jequier (2), que penses-tu de l'efficacité de nos dépenses publiques, quand on sait que les taux de prélèvement en France sont parmi les plus élevés du monde ?
La question de l'efficacité de la dépense publique est posée de manière récurrente tous les ans à Aix, mais deux enjeux nouveaux sont apparus.


Tout d'abord, face à l'explosion des inégalités, beaucoup soulignent le pouvoir redistributeur de cette dépense publique. Le coefficient de Gini, qui mesure l'inégalité des revenus dans le monde et va croissant quand les inégalités montent, est en France est de 0,290 3, légèrement en dessous de la moyenne européenne de 0,301. Quand on compare avec les 0,4 des USA ou les 0,38 du Royaume-Uni, on se dit que tout ne se perd pas.


Mais, d'un autre côté, l'État a besoin de nouvelles ressources alors que le gouvernement - dont Bruno Lemaire en direct à Aix - nous promet une baisse nécessaire de notre endettement. Donc, la question devient : où trouver les marges de manœuvre, non seulement pour se désendetter, mais aussi pour réinvestir ? Le pari sur le plein-emploi, générateur de recettes et d'optimisme, est-il suffisant pour trouver ces marges ? La nouveauté est qu'il faut penser en même temps désendettement et investissement, ce qui suppose a priori des choix plus drastiques que des petites économies à la marge.

En bref, "bien investir" est plus urgent que rembourser pour beaucoup – car les dégâts liés au dérèglement climatique seront plus importants que la question de la dette si on continue.

Au fond, l'État comme les entreprises comprennent qu'il faut plus de changement, et vite, et sont à la recherche de nouvelles poches de valeur pour pouvoir réinvestir. Et cela ne pourra pas être l'attrition de services publics comme la santé, l'éducation, la sécurité ou la défense. Il faut repenser plus profondément les modèles. Et là, on a besoin de l'engagement des Français, parce que ça va impliquer des changements de comportements, ce qui est le défi des démocraties d'aujourd'hui !

Que penses-tu de l'évolution de la consommation en France ? Pascale Hebel parle de quête de sens ? N'est-ce pas contradictoire avec le principe même de la consommation qui a pour fonction de satisfaire les besoins de la vie ?
Depuis de nombreuses années, il est difficile aux gens de réconcilier le citoyen et le consommateur dans leurs choix – bien qu'ils expriment le plus souvent l'envie de faire de leurs actes de consommation un outil de changement.

À ce jour, on se heurte au moins à deux murs.

Celui de l'offre : quand l'offre "citoyenne" est moins qualitative que l'offre historique, le choix n'est pas désirable. C'est aujourd'hui une difficulté de la "mode durable" par exemple. 


Et celui du prix : quand l'offre "citoyenne" est beaucoup plus chère que l'offre historique, comme aujourd'hui pour la voiture électrique ou l'alimentation bio, deux conséquences apparaissent. Tout d'abord, un fossé se creuse entre ceux qui peuvent faire le choix vertueux et les autres, avec toutes les conséquences (comme ne plus pénétrer dans les zones à faible émission dans le cas de la voiture) ; ensuite, le consommateur pense que c'est sur lui que pèse le surcoût et pas sur les industriels, ce qu'il trouve injuste. Il veut d'abord plus d'engagements concrets de la part des marques, par exemple un effort sur le prix des produits.
On voit bien là l'intérêt de l'établissement d'informations obligatoires et de normes : cela entraîne tout un marché.

1/ Christian Grollier, directeur de la Toulouse School of Economics, président de l'association européenne des économistes de l'environnement (EARE) auteur de Le climat après la fin du mois, chez PUF, Paris 2019
2/ Samuel Jequier, ancien ministre de l'Emploi et de la Solidarité sous le gouvernement Jospin, directeur du développement internet d'Ipsos, directeur adjoint de l'agence Bona fidé
3/ Pascale Hebel, statisticienne, directrice associée de C-ways en charge de la prospective et des tendances de consommation.

Plus d'articles sur le thème